Le , par Asociación Galega de Bioética, Revista Aceprensa
POUR LES TRANSHUMANISTES, qui conçoivent comme un devoir moral l’utilisation des avancées technologiques pour améliorer sans limite les capacités physiques et cognitives de l’être humain, ainsi que pour éliminer ce qu’il y a de « défectueux » en lui — comme le vieillissement et, finalement, la mort —, la transcendance est le but par définition. Mais pas la transcendance inscrite dans la mémoire des autres pour le bien qui a été fait, ni celui qui survit dans l’album de famille ou dans le livre qui a été écrit. Non, le but est de vivre éternellement. Pour cela, l’idéal serait de transplanter l’esprit sur un support technologique, une sorte d’ordinateur où l’individu, plus exactement son esprit — oublions le corps, le biologique — serait à l’abri de la maladie, de la fatigue, de la mort, etc., doté d’un savoir infini et, moralement bon jusqu’au dernier écrou (quelque chose qui ressemble peut-être plus à RoboCop qu’à Terminator). On ne parlerait pas de transhumain, mais de posthumain. Tout cela semble cependant peut prendre du temps. Il s’agit donc de « se débrouiller », soit en essayant de ralentir le vieillissement, soit en payant pour que la mort nous fige, en attendant d’être relancé dans le futur. Comme on le fait déjà avec des lombrics — congelés vivants —, pour les plus optimistes, ce n’est qu’une question de décennies avant que l’expression « Vivons ce jour comme si c’était le dernier ! » ne soit qu’un beau souvenir de l’ancien temps.
Allonger les télomères, allonger la vie…
« Aujourd’hui les sciences anticipent la barbarie », disait ce personnage de comédie, mais comme c’est pour améliorer la santé, elles sont les bienvenues. Elon Musk, fondateur de Tesla, a annoncé qu’en 2023 sa société Neuralink serait déjà capable d’implanter une puce dans le cerveau humain. Elle servirait, dit-il, à détecter très tôt tout impact sur la santé, ou par exemple, à redonner la vue aux personnes nées aveugles : « Nous pensons que nous pourrons restaurer leur vision si le cortex visuel est toujours là », dit-il. À l’heure actuelle, les permis d’implantation sont déjà en cours de traitement auprès de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis. Si cette fameuse puce améliore radicalement la qualité de vie des personnes et contribue à augmenter ses années d’existence, eh bien ! parfait : c’est ce que l’homme essaie d’obtenir depuis qu’il a bu une potion analgésique après avoir été frappé par un mammouth. Le problème est différent s’il s’agit d’utiliser la technologie pour violer les limites de la biologie humaine.
Pour le credo transhumaniste, il n’y a pas de risques inabordables s’il existe des possibilités technologiques de mettre fin aux limites de l’être humain et améliorer ses capacités. Un exemple en est la tentative de modifier la longueur des télomères, ces parties de chromosome qui garantissent le bon état de l’ADN et qui se raccourcissent avec le temps, ce qui provoque le vieillissement des cellules. Pour « vivre éternellement », il faudrait éviter cette réduction, et c’est ce qu’une société américaine, Libella Gene Therapeutics, a proposé en 2019 avec le développement d’une thérapie génique pour les réparer : en ajoutant 1 000 nucléotides (les télomères d’un homme jeune possèdent entre 8 000 et 10 000 de ces molécules), hypothétiquement, la vie de la personne serait prolongée de quelques décennies. Le traitement consisterait à injecter à la personne concernée un ou plusieurs virus avec une information génétique qui « ordonnerait » ses cellules pour fabriquer la télomérase, responsable de l’allongement des télomères. Quand l’annonce de recherche de volontaires a été lancée, la dose coûtait un million de dollars, et il fallait se rendre en Colombie pour l’inoculer, car la FDA n’avait pas donné son autorisation pour la thérapie aux États-Unis.
Interrogé sur un essai clinique de Libella dans un pays d’Amérique du Sud, en dehors du champs de la FDA, Jerry Shay, un expert mondial du cancer et du vieillissement à l’University of Texas Medical Center, a averti que le danger de cette thérapie était énorme, car elle pourrait activer des cellules précancéreuses « surtout chez les personnes de plus de 65 ans ». Or selon le credo transhumaniste, le risque est limité : s’il existe des possibilités technologiques pour le faire, il est impératif de le faire. Maintenant. Michael Fossel, président de Telocyte, une société de recherche sur la maladie d’Alzheimer qui a investi du temps et des ressources dans la question de l’allongement des télomères pour « inverser » le vieillissement, le résume dans cette question : « Ou bien nous allons vite et risquons de perdre en crédibilité, ou bien nous avançons lentement, nous gagnons en crédibilité et en acceptation mondiale, mais des gens meurent entretemps ? »
Congeler à la commande
Une autre possibilité d’atteindre le moment futuriste où l’esprit sera scanné et transplanté dans un ordinateur ou un cerveau artificiel et ainsi « vivre » pour toujours et à jamais, consiste à cryoconserver, congeler une personne morte afin que, dans quelques années ou quelques siècles, il sera technologiquement possible de la faire revivre ou ressusciter. L’idée a des adeptes. L’argument est que, si un embryon congelé peut être réanimé, rien n’empêche de le faire avec une personne décédée des années plus tard. Dans son établissement de Scottsdale, en Arizona, la Alcor Life Extension Foundation compte plus de 200 patients « cryopréservés » (dont l’un, le fondateur : Fred Chamberlain), et plus de 1400 sur liste d’attente. Notons, avant de poursuivre, que l’entreprise parle de patients, étant entendu — conformément à son hypothèse que la mort sera technologiquement vaincue — qu’on ne peut pas proprement parler de la mort comme d’un adieu définitif.
Rejoindre Alcor a ses « avantages ». Voici ce qu’indique son site Internet : « Avec de faibles mensualités et une police d’assurance, tout est prêt. Le moment venu, nous effectuerons votre cryoconservation dans nos installations à la pointe de la technologie : les patients sont gardés dans des capsules cryogéniques sûres et durables jusqu’à leur réanimation. Bienvenue dans votre avenir. » L’entreprise décrit le processus : immédiatement après la mort de la personne, la circulation sanguine et la respiration sont maintenues artificiellement, le corps est baigné dans de l’eau glacée et le sang est remplacé par une substance qui préserve les organes et garantit hypothétiquement leur fonctionnalité future. Par la suite, des substances protectrices sont inoculées contre le froid extrême, afin qu’il ne brise pas les tissus. Ainsi, le défunt est prêt pour un refroidissement profond (à -196 °C) dans une capsule périodiquement remplie d’azote liquide. Une fois hébergé, « le patient restera en soins de longue durée jusqu’à ce qu’une réanimation soit possible ». Il n’y a pas de dates, seulement de l’optimisme : « Actuellement, aucune organisation de cryonie ne peut faire revivre un patient cryoconservé, mais chez Alcor, nous sommes convaincus que c’est possible. On s’attend à ce que la nanotechnologie et d’autres technologies médicales futures aient des capacités très larges. Et si l’intéressé est européen et que l’Arizona trop loin, ne vous inquiétez pas : en Allemagne, en Suisse et en Russie, il existe déjà des installations de cryoconservation et sur le continent, il existe quatre ambulances équipées de la technologie nécessaire à la procédure. Lors d’un récent événement à Madrid — Transvisión 2022 — des avocats, des ingénieurs, des médecins, des biologistes, etc. ont discuté de la cryoconservation, un groupe de médecins s’est vu proposer une démonstration du processus avec un mannequin. Tout s’est bien déroulé, naturellement. Dans le cas d’un être humain, ce ne serait pas différent. Il vous suffit de payer, de mourir, d’être congelé de manière sophistiquée et d’attendre, d’attendre…
L’inévitable sénescence
Dans ce qu’attendent les patients d’Alcor, l’hypothèse selon laquelle il est possible d’atteindre l’immortalité se heurte à des réalités tenaces. L’une d’entre elles est l’impossibilité d’arrêter le vieillissement sans, en même temps, favoriser des cancers qui, à terme, causent la mort. Dans leur recherche Intercellular Competition and the Inevitability of Multicellular Aging, Paul Nelson et Joanna Masel, PhD, de l’université de l’Arizona, expliquent le phénomène au niveau cellulaire et multicellulaire : avec le temps, les cellules perdent leur fonction et cessent de fonctionner. Elles se divisent, « vieillissent ». Vient ensuite l’apoptose, la mort cellulaire programmée, un mécanisme par lequel les cellules “coopèrent” pour le bien de l’organisme dans son ensemble et meurent. » Ceux qui, cependant, ignorent le signal programmé, « bénéficient d’un avantage physique par rapport aux cellules plus coopératives ». Ils mutent, acquérant à nouveau la capacité de se diviser et de se propager de manière incontrôlable, devenant ainsi cancéreux. « Des mécanismes tels que la fonction immunitaire, la redondance des gènes suppresseurs de cancer et la structure des tissus affectent la vitesse à laquelle la coopération cellulaire est dégradée », notent les auteurs, ajoutant que ces mécanismes « pourraient retarder considérablement le vieillissement », mais ce déclin, le cas échéant, est inévitable. Interrogés sur le sujet pour Singularity Hub, Nelson et Masel sont précis : « La compétition intercellulaire, ou son absence, peut éliminer le cancer ou la sénescence, mais pas les deux. Pendant que vous gardez un problème sous contrôle, l’autre s’aggrave. »
Désordre désagréable
L’option consistant, une fois décongelé, à vivre éternellement avec le même organisme ne semblant pas réjouissant — le déclin biologique continuerait son cours, qu’on le veuille ou non —, le transfert de l’esprit vers le support technologique, vers le cerveau artificiel, s’impose. Mais cela entraînerait d’autres problèmes, dont certains ont été soulevés par le neuroscientifique de Princeton, le Dr Michael Graziano dans le Wall Street Journal : « Une fois le cerveau scanné et inséré dans un appareil, qui suis-je ? Un organisme biologique, corps et esprit, qui se dirige vers sa fin naturelle, ou l’exacte copie mentale qui “vit” dans le métal, les puces et les fils ? Deux “moi” peut-être, chacun accumulant ses expériences de son côté ? Quelle serait la relation du moi-personne avec le moi-machine : une relation de subordination à l’autre ou d’harmonie ? » On pourrait ajouter au questionnement de Graziano — qui, finalement, ne voit pas d’autre « solution » que cette greffe mentale si l’on veut pouvoir s’extraire très loin de la planète —, comment un esprit installé dans une machine, sans sensations corporelles directes, peut-il comprendre la faim, le froid, la douleur… ? Peut-il savoir, sans l’avoir éprouvée, ce qu’est la compassion et comment l’exercer avec ceux qui n’ont pas fait le « transit » vers cet état « parfait » ?
Il convient de s’arrêter. À proprement parler, nous avons affaire à de la fantaisie déguisée en science, il y a trop d’hypothèses non vérifiables — précisément le contraire de la méthode scientifique —, et vendues avec des arguments tels que, si Verne a prédit le sous-marin et que c’est maintenant une réalité, il n’y a pas de limites que la technologie ne puisse surmonter. En tout cas, celui qui a une confiance inébranlable, et du temps, beaucoup de temps, c’est Fred Chamberlain, et les patients d’Alcor ne nous diront pas le contraire.
Auteurs de l'article
Asociación Galega de Bioética
España | Plataforma de reflexión crítica.
Ses publications
Revista Aceprensa
España | Revista especializada en el análisis de tendencias sociales (Madrid).
Ses publications