Le , par Guillaume Bernard
Quelles leçons politiques tirer de la gestion de la crise mondiale du coronavirus ? Les réponses du politologue Guillaume Bernard.
ONE OF US. — Comment les États ont-ils réagi à la pandémie de la Covid-19 ?
Guillaume Bernard. — Les gouvernements occidentaux ont, de manière générale, engagé des mesures dans la précipitation. Les prenant trop tard, par impréparation, ils ont souvent pris des dispositions radicales (arrêt de la vie économique et sociale) et liberticides (confinement de la population). Cela n’a été possible qu’à l’occasion d’une « hystérisation » de l’information qui a dramatisé la situation, paralysé le raisonnement de l’opinion et fait dominer les passions dans le débat public (la peur panique de la contamination et de la mort).
Quelle leçon politique les gouvernements tireront-ils de la crise, notamment en Europe ?
Il est à craindre que les gouvernants n’aient toujours pas compris ce qui était à l’origine de leur impréparation : leur foi inébranlable envers les bienfaits d’une société mondialisée faite non pas d’interdépendances mais d’abandons de pans entiers de souveraineté (division internationale du travail, délocalisations), un « village global » où les frontières seraient vouées à s’effacer et où, surtout, les hommes seraient interchangeables.
L’État-providence (parfaitement compatible avec une vision libérale de la société) et l’Union européenne ont montré leur incurie ; mais les élites mondialisées, Emmanuel Macron en tête, veulent leur donner une place encore plus importante. C’est contraintes et forcées par les événements qu’elles se sont faites, un temps, les défenseurs des souverainetés. Mais elles ne veulent bien des frontières qu’à l’extérieur de l’Union européenne qui n’est, pour elles, qu’un espace sans identité propre et sans délimitation claire… Il est même possible que la crise sanitaire leur serve de prétexte pour ressortir le projet d’État fédéral européen où les unités fédérées ne seraient plus les États-nations mais de grandes régions sur le modèle des Länder allemands.
La plupart des pays européens ont eu recours à des mesures d’exception pour contenir les effets de la pandémie, sur la foi de conseils d’experts scientifiques. En situation de crise, tout pouvoir a tendance à suivre sa pente naturelle et à abuser de ses prérogatives. L’hygiénisme sera-t-il la tentation totalitaire du gouvernement politique des États modernes ?
La crise du coronavirus a, assez explicitement, accéléré le glissement vers un totalitarisme « mou » : d’abord en ce qui concerne les relations des citoyens avec la puissance publique, ensuite pour ce qui regarde le discours de celle-ci. L’État surveille ses citoyens et exige d’eux de la docilité voire de la servilité (l’État peut tout) ; en échange, il leur distribue des prestations (droits-créances), ce qui les infantilise (l’État doit tout). À cela s’ajoute ce qui est au cœur même du totalitarisme, en l’occurrence le couple désolation-idéologie : table rase des enracinements d’un côté, promotion d’une idéologie de substitution de l’autre à savoir la science. Les politiques ont cherché à instrumentaliser l’argument d’autorité scientifique : leur attentisme puis leurs dispositions drastiques auraient toujours été le résultat réfléchi et rationnel des données médicales dont ils disposaient. Le gouvernement s’efface derrière la gouvernance, le choix politique derrière l’implacabilité de la science. Cela permet de museler la critique : prétendre qu’il y aurait eu d’autres mesures à prendre reviendrait à contester l’incontestable : la science ; ce serait être, au mieux, un farfelu, au pire un dangereux irresponsable.
Il y a là une forme de terrorisme intellectuel qu’illustre la force de sidération du principe de précaution tant instrumentalisé lors de cette crise sanitaire. Contrairement aux apparences, le principe de précaution n’est pas assimilable à la prudence ; il en est même une authentique contrefaçon. Puisque le risque est intrinsèque à la vie, la prudence conduit à l’affronter ; elle consiste à inventorier les solutions possibles et à faire un choix dans le but d’agir. Le principe de précaution conduit, lui, sous prétexte de l’existence d’un risque, à l’abstention voire à la prohibition. Il offre un paradis très hygiénique mais totalement artificiel ; il donne l’apparence d’éliminer le risque en refusant de l’affronter.
La crise sanitaire n’a-t-elle pas d’abord révélé une crise existentielle ?
Alors que le citoyen lambda ne disposait pas (et ne dispose toujours pas) d’informations fiables et précises sur le taux de létalité de la Covid-19, il semble qu’une large part de la population a été prise par une peur névrotique de la mort (comme si celle-ci n’était pas la seule chose certaine de chaque existence humaine). Cela a-t-il donné lieu à une prise de conscience de la nécessité de donner un sens (signification et direction comme cela couramment relevé) à la vie ? Ce n’est pas sûr. Dans l’ensemble, cela a plutôt révélé au grand jour une relation compulsive à une vie purement biologique et éminemment matérialiste. La vie défendue n’était la vie innocente ou (pro)créatrice de beauté. Non, c’était la vie pour la vie : une attitude psychologique confinant à la perversion intellectuelle et morale où fin et moyen sont confondus. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier les besoins biologiques légitimes. Mais il n’est pas moins indispensable de relever que la prohibition du culte n’a, la plupart du temps, que très peu soulevé d’indignation. Les politiciens ont révélé, dans leur quasi-totalité, leur désintérêt voire leur mépris affiché pour la religion et, pour le moins, leur méconnaissance totale du culte, en particulier catholique.
Les événements n’ont-ils pas pour autant montré une prise de conscience sur les dangers du « globalisme » et des mythes idéologiques ?
Les derniers mois ont révélé une sorte de schizophrénie : il y a eu, d’un côté, la constatation par tous que les corps sociaux « naturels » (la famille, la nation) sont des cadres protecteurs indispensables et, de l’autre, une acception implicite du processus théorique du contractualisme social selon lequel pour obtenir la sécurité (éviter la mort), les hommes devraient abdiquer tout ou partie (en fonction des auteurs) de leurs libertés. Les sociétés occidentales apparaissent donc dans une situation ambivalente : il y a, pour diverses raisons parfois contradictoires, un retour de l’attachement au local et au rural, au familial et au national mais, « en même temps », l’acceptation (de moins en moins importante, il est vrai) de la société dite ouverte, c’est-à-dire sans limite et progressiste.
Parce que ce sont les principes sur lesquels est fondée la société moderne (matérialisme, contractualisme, subjectivisme) qui sont à l’origine des multiples insécurités que la frappent (insécurités personnelle, sociale et culturelle), la crise de régime est bien potentiellement là. Mais si elle est pressentie par tous ou presque, ses causes ne sont pas encore pleinement identifiées. Nos contemporains ne font plus vraiment confiance à la pensée progressiste, mais ils ne la mettent pas encore en accusation.
Propos recueillis par Thierry de La Villejégu et Philippe de Saint-Germain.
Auteur de l'article
Guillaume Bernard
France | Historien du droit et politologue, maître de conférences à l'Institut catholique d'études supérieures (ICES), codirecteur de l'Observatoire One of Us.
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