Le débat bioéthique en France a été dominé en 2022 par la question d’une reconnaissance de l’avortement comme un droit, et la possibilité d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.
France : débat sur le « droit » à l’avortement
[Mise à jour] — L’actualité en France au premier semestre 2022 a été marquée par l’adoption de la proposition de loi d’origine parlementaire visant à « renforcer le droit à l’avortement » et par la campagne de l’élection présidentielle (10-24 avril) où a été relancée la question de ma légalisation de l’euthanasie. Les élections législatives (12-19 juin) ont donné une majorité relative au président Macron, mais certainement une majorité absolue en faveur des transgressions bioéthiques et la transformation de la dépénalisation de l’avortement en droit constitutionnel. Affaibli politiquement, malgré sa réélection, Emmanuel Macron pourrait soutenir des projets législatifs en faveur de l’avortement et de l’euthanasie, par pur opportunisme politique.
La loi visant à « renforcer le droit à l’avortement », votée le 23 février, porte le délai d’avortement à 14 semaines de grossesse et à 7 semaines pour les avortements médicamenteux. Bien qu’Emmanuel Macron se soit dit opposé à l’allongement du délai pour avorter, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a indiqué aux députés que le gouvernement avait bel et bien « créé les conditions pour que ce texte aille jusqu’au bout ». La loi prévoit la création d’un répertoire de professionnels pratiquant l’IVG, autorise des sages-femmes à pratiquer des avortements chirurgicaux, supprime le délai de réflexion de 48h, sanctionne les pharmaciens qui refuseraient de délivrer une « contraception d’urgence ». Seule mesure transgressive qui n’a pas été adoptée : la suppression de la clause de conscience spécifique à l’avortement des professionnels de santé. Rejeté trois fois par le Sénat, le texte a été voté en dernière lecture à l’Assemblée nationale par 135 voix contre 47.
La dépénalisation de l’euthanasie a été l’« avancée sociétale » de référence dans les débats de la campagne présidentielle. Cette mesure a été soutenue par plusieurs candidats de gauche. Emmanuel Macron s’est déclaré pour sa part favorable à la dépénalisation de l’euthanasie, au nom du « droit de mourir dans la dignité », tout en continuant à prôner le débat et la recherche d’un consensus via une convention citoyenne sur la fin de vie. Pour le président candidat, la France doit « évoluer » vers « le modèle belge ».Interrogé par Gènéthique Magazine, le philosophe Damien Le Guay rappelle pourtant que le professeur Didier Sicard, ancien président du Conseil consultatif national d’éthique et auteur d’un rapport sur la fin de vie en France en 2012, soutient que la formule du contrôle a posteriori en Belgique ne fonctionne pas : les contrôles n’existent pas et la moitié des euthanasies pratiquées n’entrent pas dans les statistiques. De son côté, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a fait entendre la voix des professionnels de santé qui, sur la foi d’un consensus politique de plus de trente ans, plaident pour un développement des soins palliatifs. Elle demande l’organisation d’une concertation sur les conditions de prise en charge de la fin de vie avec les professionnels de santé les plus concernéset a soumis 14 propositions pour garantir l’égalité d’accès aux soins palliatifs, sortir du « tout-hôpital », développer la formation des soignants, aider les aidants et impliquer la société civile.
Le 13 septembre, le Comité consultatif national d’éthique rend un avis favorable à l’euthanasie, considérant « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir ». Le 9 décembre, une Convention citoyenne sur la fin de vie constituée par 185 citoyens tirés au sort est réunie sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental pour se prononcer sur l’adaptation du cadre d’accompagnement de la fin de vie en France, et sur l’opportunité de faire évoluer la législation.
L’avortement, un droit ? Au lendemain de la décision de la Cour suprême des États-Unis sur l’avortement, la présidente du groupe macroniste à l’Assemblée nationale a déposé une proposition de loi « visant à inscrire le “droit à l’avortement” dans la constitution française ». En dépit d’un abus de langage, l’avortement n’est pas un « droit » en France, mais une tolérance. L’inscription de l’avortement dans la Constitution en ferait en effet un « droit ». Après avoir été repoussée lors de la précédente mandature, cette proposition permettrait au président Macron de s’agréger une majorité politique de circonstance autour de l’avortement comme « valeur absolue ». Elle rejoint la proposition française de faire entrer le « droit » à l’interruption volontaire de grossesse dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le 24 novembre, la majorité présidentielle vote pour l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, une proposition défendue par l’extrême-gauche (LFI). Même si le texte a peu de chances de se traduire dans la loi, un changement constitutionnel devant être approuvé par les deux chambres et un référendum, il s’agit d’une victoire symbolique. La constitutionnalisation de l’IVG mettrait en péril l’objection de conscience du personnel de santé.