Le , par Julio Tudela
LE TEMPS QUI PASSE, la baisse de la gravité de la situation dans les pays développés du « premier monde », l’accumulation de données encore mal évaluées et les perspectives d’évolution de ce qui s’est passé, permettent d’analyser autrement l’analyse de la plus grave crise liée à la santé mondiale de l’histoire récente. Les problèmes liés à l’endiguement de la pandémie en Asie, en Europe et en Amérique du Nord suscitent des doutes quant à la pertinence des mesures prises, dont beaucoup sont issues de l’improvisation ou directement de l’ignorance et de l’erreur.
La publication récente des résultats décevants de l’hydroxychloroquine dans le traitement de la maladie, les séquelles mal établies des traitements les plus agressifs avec les antirétroviraux ou les médicaments de réanimation, qui incluent des problèmes neurologiques, circulatoires, rénaux, cardiaques, etc., obligent la communauté scientifique à revoir en profondeur, avec des données objectives sur la table et une ferme volonté d’approcher la vérité de ce qui s’est passé, les procédures et les moyens utilisés pour faire face à la pandémie, afin d’atténuer les conséquences néfastes des erreurs et omissions commises et d’essayer de ne pas les répéter à l’avenir.
Le traitement épidémiologique
La première des questions en conflit est celle du traitement épidémiologique de la maladie. Les mouvements erratiques de l’OMS dans les premiers moments de son évolution ont sérieusement compromis l’efficacité des mesures adoptées par les différents gouvernements et qui, à long terme, se sont révélées inefficaces dans de nombreux cas, avec des coûts énormes en termes de vies humaines, d’appauvrissement social et de séquelles physiques et psychologiques chez les personnes touchées ainsi que leur environnement. L’hésitation à déclarer la pandémie, le retard à proposer des mesures d’intervention, les erreurs dans les indications sur l’utilisation des masques de protection individuelle ou la nécessité de faire des prévisions dans la collecte des équipements de protection individuelle et des moyens de diagnostic et de traitement, ont montré que les paramètres épidémiologiques utilisés pour prévenir l’apparition de situations comme celle-ci n’ont pas suffisamment fonctionné car obsolètes, inadaptés, insuffisants, erronés ou imprécis.
Le recours répété aux « avis d’experts » s’est révélé peu fiable et inefficace. Lorsque ces avis ont été modifiés, ce fut avec légèreté, en se trompant ou arrivant avec retard, en ignorant l’ampleur réelle du problème, ce qui a été démontré par des preuves irréfutables comme les images de services hospitaliers débordés ou de cadavres entassés. L’inefficacité de la cascade de mesures issues de l’improvisation et de la crainte de leurs conséquences sociales ou politiques a obligé de nombreux gouvernements, comme celui de l’Espagne, à adopter des mesures drastiques de contrôle social, avec restriction des droits et des libertés, confinement massif et paralysie de la vie sociale et économique. Le retard et la défaillance à prendre des décisions opportunes et proportionnées ont généré une inertie dans l’adoption d’autres mesures désormais difficiles à gérer. De la non-convenance de l’utilisation des masques, nous sommes passés à l’extension obligatoire de leur utilisation sine die. Du retard dans la prise de mesures de distanciation sociale, avec le maintien de certains événements réunissant des foules bien avant la pandémie, à l’imposition de nouvelles distances de « longueur variable » — un mètre, un mètre et demi, deux mètres… — sans date d’expiration.
Le cas espagnol, outre les chiffres de mortalité élevés, est particulièrement triste sur deux points : la protection du personnel de santé impliqué dans le contrôle de la pandémie et le traitement des données épidémiologiques, que nous digérons quotidiennement au milieu de l’étonnement, de la surprise, de la perplexité ou de l’indignation. La fourniture insuffisante d’équipements de protection individuelle pour le personnel de santé a fait que les espagnols sont les travailleurs de la santé les plus touchés par la maladie. Quelqu’un doit prendre note de ce qu’il ne faut pas faire à nouveau et des décisions à prendre, rapidement et de manière décisive, à l’avenir. Aujourd’hui encore, le diagnostic des personnes éventuellement touchées est scandaleusement insuffisant, les tests de diagnostic étant souvent évités, ce qui empêche la localisation des personnes infectées et leur isolement. L’inefficacité de la détection des cas par l’insuffisance des tests de diagnostic oblige à adopter des mesures d’isolement généralisées et agressives face à l’impossibilité de les repérer et d’agir sur leur environnement. Cependant, cela est systématiquement nié par les médias officiels qui insistent sur le fait que les méthodes de diagnostic utilisées sont suffisantes.
L’incapacité à traiter les données épidémiologiques
Le second problème est la triste incapacité à traiter les données épidémiologiques de la maladie avec un minimum de rigueur et de cohérence. Nous nous sommes déjà habitués à des chiffres absurdes et contradictoires, qui ne semblent pas beaucoup inquiéter ceux qui les publient, mais qui scandalisent les cliniciens et les scientifiques, ainsi que la population bien-pensante. Il semble que la vieille devise de Joseph Goebbels « Un mensonge répété dix mille fois devient une vérité », se réalise dans de larges secteurs sociaux qui avalent sans digérer la cascade de contradictions sur le nombre de morts, infectés et diagnostiqués, impossible à interpréter avec un minimum de fiabilité.
Cette malheureuse désinformation peut être due à l’incapacité technique du système ou de son interprète, ou bien à une déformation délibérée des données, cherchant à obtenir un bénéfice politique ou à minimiser les conséquences et les effets secondaires du drame épidémique.
Les conséquences économiques et sociales
Enfin, ce sont les conséquences sociales et économiques qui gagnent désormais du terrain. Les chiffres du chômage, la stagnation économique, la dépendance manifeste à l’égard de l’économie mondiale et les syndromes post-traumatiques dans l’ensemble du tissu social annoncent les sombres horizons de l’appauvrissement, ce qui a obligé les gouvernements à lever à la hâte les mesures d’isolement drastiques qui ont dû être adoptées pour tenter de pallier l’inefficacité et le retard des premières actions. Un article récent publié dans le prestigieux magazine BMJ (BMJ 2020;369:m2202 doi: 10.1136/bmj.m2202, 4 juin 2020), met en garde contre le risque de prendre aujourd’hui des mesures pour sortir de l’impasse sociale et économique en l’absence d’un vaccin ou d’un traitement efficace. L’article précise que seuls les tests massifs, le traçage des contacts et leur isolement permettront de sortir du blocus en toute sécurité. Des données de prévalence fiables sont nécessaires pour une action adaptée aux besoins réels.
Là encore, une approche sérieuse de la science est essentielle pour protéger la santé et la dignité des personnes. L’urgence actuelle en Afrique et en Amérique du Sud, avec la pandémie en pleine expansion, se présente comme une dette morale pour tous ceux qui, avec plus de moyens et d’expérience, peuvent se racheter en proposant leurs conseils et leurs ressources. Apprendrons-nous de nos erreurs ? Serons-nous capables de les identifier et de les reconnaître enfin, afin de ne pas les commettre à nouveau ? Les pays du tiers-monde pourront-ils bénéficier des leçons apprises et des progrès réalisés ? C’est peut-être le visage positif que chaque crise apporte avec elle, le dépassement et la solidarité.
Auteur de l'article
Julio Tudela
España | Farmacéutico, profesor universitario en Universidad Católica de Valencia.
Ses publications