Le , par Alfonso Ballesteros
LA RECONNAISSANCE croissante des droits semble avoir un caractère pathologique, celui d’une sorte de dépendance aux droits. Cette reconnaissance n’aboutit pas à une plus grande justice, ni à une réalisation plus complète de l’humanisme. Il semble que cela produit plutôt le contraire : cela en sape les fondements. Cette hypertrophie des droits peut être divisée en deux groupes : celui des « nouveaux droits » et celui des « nouveaux droits de l’homme ».
Tout être détient des droits
L’hypothèse des « nouveaux droits » est que tout bien humain ou non-humain peut être qualifié de « droit ». Tout être détient des droits : les animaux (comme l’orang-outan Sandra, de Floride) ou les montagnes (comme le Taranaki, en Nouvelle-Zélande) ; les androïdes ou les gynoïdes (comme Sophia, une citoyenne saoudienne) ; les chimères ou les intelligences artificielles en général. À sa racine, la vision des « nouveaux droits » nie les distinctions ontologiques entre les êtres et a pour conséquence plus grave le déni de la supériorité de l’êtres humain dans l’univers. Ainsi, cette vision sape les racines humanistes — à la fois des Lumières et judéo-chrétiennes — des droits de l’homme.
Une méthode de soumission
De « nouveaux droits de l’homme » sont également reconnus depuis plusieurs décennies. Ces droits, en tant qu’ils sont des libertés apparentes, ont une grande utilité rhétorique. Pour cette raison, il est difficile de voir que ce sont dans de nombreux cas des libertés qui conviennent d’abord à ceux qui dominent. Ainsi, les méthodes de soumission utilisent aujourd’hui ces libertés pour dominer les individus : ces derniers coopèrent sans le savoir à leur propre soumission à travers une liberté voulue par le dominateur. Dans le domaine du droit, la volonté de plaire pour dominer vous présente ainsi de nouveaux droits soigneusement sélectionnés.
L’avortement en est un bon exemple. Dans le monde libre, il est décriminalisé comme aux États-Unis, avec Roe c. Wade (1973). Il est présenté comme une extension du droit de l’intimité ou de la vie privée, le soi-disant droit de décider seul. Dans le même temps, le Conseil national de sécurité de ce pays élabore secrètement un document programmatique beaucoup plus pertinent pour étendre de l’avortement. C’est un long mémorandum qui indique l’opportunité, pour les intérêts américains, de rendre l’avortement universellement légal. C’est le meilleur moyen de réduire la population, surtout de réduire le nombre de pauvres dans le monde. Cet objectif doit être atteint subrepticement, en convainquant les parents qu’ils ont le droit d’avorter et que c’est une liberté qui leur est dûe[1]. L’avortement a un caractère radicalement volontariste, car il présente les libertés de l’individu contre ses tendances naturelles (comme l’attachement naturel aux enfants) et contre la norme naturelle correspondante qui se répondait spontanément à la grande majorité des cas (le devoir de respecter la vie des enfants). La volonté — une volonté dirigée — prévaut sur les tendances naturelles qui doivent être surmontées avec de grands programmes d’endoctrinement.
Par les émotions
De plus, l’avortement vise à s’universaliser, mais non à travers une vision commune de l’homme et après un long effort de dialogue comme cela s’est produit avec la Déclaration universelle de 1948. Son adhésion universelle se fait par les émotions, qui permettent de changer efficacement l’opinion de masse : ainsi, l’utilisation rhétorique du viol pour justifier l’avortement, quand il qu’il constitue 0,01% des avortements. Cette adhésion est également obtenue avec l’utilisation rhétorique de l’extension supposée de la protection de la vie privée et du principe de non-discrimination. Cela nous permet de clore le discours en faveur de l’avortement de manière très intelligente et en fonction de la sensibilité de l’époque. Ainsi, l’avortement et, avec lui, d’autres droits nouveaux, peuvent être vus sous tous ces aspects. De même, l’euthanasie, en raison de sa nature volontariste (face à l’attachement naturel à la vie), en raison de l’utilisation des émotions pour susciter l’adhésion, ainsi qu’en raison de son extension alléguée du droit à décider seul. Tant pour l’avortement que pour l’euthanasie, les alternatives sont réduites au silence : l’aide aux femmes enceintes ou le recours aux soins palliatifs. Cela montre que nous ne voulons pas reconnaître la possibilité de décider entre différentes options — ce qui serait déjà contestable si l’une d’entre elle est négative — mais plutôt parvenir à une décision prédéterminée. Le rétablissement de la tradition humaniste des droits nécessiterait, d’une part, d’accorder l’exclusivité de la jouissance de leurs droits à tous les êtres humains, ce qui n’exclut pas le devoir de protéger ce qui est naturel ; d’autre part, elle exige que, si un nouveau droit doit être déclaré, il ne porte pas atteinte aux précédents, mais plutôt qu’il y ait une harmonie entre eux sous le dénominateur commun de la dignité humaine.
[1]National Security Council Memorandum 200 (NSSM-200), Implications of World Population Growth for the Security and Interests of the United States (Kissinger Report), 12/10/1974. pp. 12 et 66. Le document a été déclassifié en 1990.
Auteur de l'article
Alfonso Ballesteros
España | Profesor de Filosofía del Derecho, Universidad Miguel Hernández (Elche).
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